Le livre de Christian Dauchel sur August Schenck

Il ressort de l’oubli un grand peintre animalier de l’école d’Écouen

August Schenck a connu au XIXe siècle une reconnaissance internationale. Dans un livre qu’il a coécrit, Christian Dauchel retrace le parcours de ce commerçant en faillite devenu artiste renommé.
De commerçant en faillite à peintre renommé, August Schenck (1821 – 1901) a connu un parcours atypique. Les représentations sensibles d’animaux de l’artiste, qui a vécu à Écouen jusqu’à sa mort, lui ont valu au XIXe une reconnaissance internationale. Un ouvrage qui vient de sortir lui est consacré.

Aujourd’hui, son nom ne résonne pas aussi fort que celui de Rosa Bonheur. Pourtant, en son temps, August Friedrich Schenck, également peintre animalier, a lui aussi marqué son époque et sans aucun doute la ville d’Écouen dans laquelle il a vécu quarante ans, jusqu’à sa mort en 1901.
« Il a beaucoup vendu et exposé, jusqu’au Metropolitan Museum of Art ( MET) de New York où Salvador Dali découvrira une de ses toiles dans les années 1940 et en fera même une adaptation », souligne Christian Dauchel, président de l’association l’École des peintres d’Écouen au XIX e siècle. Il est aussi le coauteur de la toute première monographie qui vient de sortir au sujet de cet artiste (Éd. Cinabre) au destin singulier. Car rien ne le prédestinait à un tel avenir. Né en 1821 dans une région du Danemark qui deviendra ensuite prussienne, August Friedrich Schenck, poussé par son père, devient négociant dans le vin. Une carrière qui le mène à voyager à travers l’Europe et la Russie, jusqu’à la faillite de son entreprise au Portugal. Il s’exile alors en Allemagne.

Les moutons, son sujet de prédilection
Alors qu’August « a toujours dessiné et peint mais seulement en loisirs jusqu’ici », note Christian Dauchel, il décide de se consacrer à ses crayons et pinceaux à plein temps. Pour cela, il prend le chemin de la France pour se former à l’école des Beaux-Arts à Paris où il ne tarde pas à exposer avec déjà quelques succès.
D’abord des œuvres inspirées de ses nombreux voyages avant de se tourner peu à peu vers le genre qui fera sa spécialité : la peinture animalière.
En 1862, August Friedrich Schenck quitte la capitale pour s’installer à Écouen. Un vaste domaine, disparu depuis, derrière l’église du village et rempli d’animaux, devient leur nouvelle (et ultime) demeure. Pourquoi Écouen et ses quelque 1 300 habitants à l’époque ? « Il rejoint la petite colonie d’artistes regroupés alors autour du peintre Pierre Édouard Frère, célèbre à l’époque », rappelle le coauteur passionné.
Le choix s’avère payant car la notoriété de la petite bande attire dans le bourg des marchands d’art du monde entier et son travail ne tarde pas à taper dans l’œil des galeristes. Ses toiles sont pourtant très différentes de celles des autres peintres d’Écouen. Quand ces derniers se spécialisent dans des scènes de la vie quotidienne paysanne, ses personnages principaux à lui sont donc des animaux, tout particulièrement les moutons.
Mais ce qui plaît chez Schenck, c’est une particularité dans leurs représentations. « Il leur insufflait des sentiments, ce qui n’était pas courant du tout à l’époque », relève Christian Dauchel. Son tableau « Angoisse », exposé notamment lors de l’Exposition universelle de 1889, marque les esprits. Une brebis, accablée de chagrin, veillant le corps inanimé de son bébé, sous le regard funeste de corbeaux le convoitant déjà. Des œuvres « fascinantes » pour certains ; « effrayantes » pour d’autres. Mais « cela ne fera fuir ni les admirateurs, ni les clients », relève l’ouvrage.

« Un homme de cœur »
« Il a énormément vendu, particulièrement à des collectionneurs américains qui feront sa fortune », note le connaisseur val-d’oisien. Et si en France, il séduit aussi, des critiques estimaient cependant qu’il était sous-coté. « Il a certainement souffert des réticences nationales à l’époque contre les Prussiens », poursuit l’auteur principal.
Des a priori injustifiés pour ce natif d’un territoire annexé par la Prusse au même titre que l’Alsace-Lorraine. « Il est l’un des seuls artistes qui restent à Écouen pendant la guerre de 1870, très dure pour le village avec de nombreuses destructions », tient à souligner Christian Dauchel.
Et ce n’est pas son son seul fait d’armes. Le passionné poursuit : « Polyglotte, Schenck a aussi aidé des gens du voyage, dont il parlait la langue, alors qu’ils étaient malades et perdus à Écouen. Il a également vendu un de ses tableaux pour secourir un village d’Auvergne, région dans laquelle il se rendait chaque hiver. C’était un homme de cœur. »
Il peindra jusqu’à sa mort à 79 ans, malgré la maladie. Mais ensuite la mode change au profit de l’impressionnisme. L’artiste comme ses tableaux tombent finalement dans l’oubli au fil des décennies suivantes. Avant d’être redécouverts aujourd’hui. Et certains sont toujours dans les collections de grandes institutions. « Orsay, le musée des Beaux-Arts de Bordeaux, de Lille, le musée d’Édimbourg (Écosse), d’Oakland ou encore de Philadelphie (États-Unis), énumère le président de la Société historique devant un des tableaux exposés en mairie d’Écouen.
La ville en possède plusieurs grâce à des dons de sa veuve notamment. « Mais ses toiles sont surtout dans des collections privées. On continue de les chercher. »
« August Friedrich Schenck, 1821-1901, faune sentimentale », par Christian Dauchel, Christine Essling et Thierry Laugée. Éd. Cinabre, 128 p., 30 €.

Source : Le Parisien le 18 juin 2025 – Par Anne Collin